Débat : une fable, la grenouille et la marmite

28 02 2014

grenouille

Le texte ci-après émane, une fois n’est pas coutume, d’un saint cyrien lors du dernier 2S du département de la Dordogne.

L’humour ne masque pas le fond, il le relève. Il va sans dire que ce qui vaut pour la Saint Cyrienne vaut aussi pour L’Epaulette.

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Faire Campagne le jour du « 2 S » ! C’est une belle trouvaille et je regrette que notre délégué, Philippe MESSAOUDI, ne soit pas là aujourd’hui pour participer à cette « Campagne » dont il a été le stratège….

Vous avez noté, dans le ton de ses récents messages, qu’il était, comme beaucoup d’entre nous, particulièrement préoccupé de la situation de nos armées et de notre défense. C’est pourquoi, en l’absence de notre doyen, le général BILLOT, qui a le talent de toujours élever le débat, Philippe MESSAOUDI m’a demandé de prendre la parole, non pas en tant que « vice-doyen », ni en tant que « vice-délégué » de la St-Cyrienne, mais plutôt en tant que représentant de l’ASAF, dont vous savez que je suis le délégué pour la Dordogne et, parfois, l’un des porte-plumes, puisque j’ai notamment rédigé le bulletin spécial consacré à la Guerre d’Algérie, dont vous avez peut-être eu connaissance.

Avant de vous adresser quelques mots, je tiens à vous dire combien je ressens l’honneur qui m’est fait de prendre la parole devant votre noble assemblée et surtout devant quelques vénérables anciens dont je redoute la critique.

Laissez-moi commencer par une petite histoire, que certains d’entre vous connaissent sans doute et qu’ils me pardonneront de répéter, car elle sera, en quelque sorte, le fil conducteur de mon baratin.

Voici – C’est l’histoire d’une jolie petite grenouille, que l’on place dans une grande marmite pleine d’eau bien fraîche. Un peu désorientée, la petite

grenouille fait le tour de la marmite en barbotant et trouve que tout va bien.

Quelqu’un allume alors le gaz sous la marmite : l’eau commence à tiédir mais notre bestiole, un peu étonnée, trouve que cela n’est pas désagréable et continue à s’ébattre dans la marmite.

Peu à peu, la température de l’eau s’élève et notre grenouille commence à trouver cela un peu gênant, mais pas totalement insupportable. Tout au plus, se laissant aller langoureusement à la tiédeur qui l’enveloppe, se met-elle à pédaler un peu moins vite.

L’eau chauffe toujours et au bout d’un moment, la grenouille commence à avoir bien chaud et à ressentir une certaine fatigue. Pour économiser ses forces, elle cesse de nager et se recroqueville en attendant que cela passe…

Mais l’eau commence à bouillir et la petite grenouille, qui ne peut plus remuer, finit par périr, asphyxiée, noyée et bien cuite.

Quelle est la morale de cette triste fable : ne trouvez-vous pas que notre société ressemble un peu à cette petite grenouille ?

Car, si on avait plongée la bestiole directement dans l’eau très chaude, elle aurait vivement, d’un coup de patte, trouver la force de sauter par-dessus bord et aurait ainsi échapper à son triste sort.

Mais, anesthésiée par la douceur, le confort et la progressivité de son malheur, elle n’a rien vu venir et n’a plus eu la force, le moment venu, de réagir pour se sauver.

Et bien, j’ai parfois le sentiment que, depuis une trentaine d’années, mon pays ressemble à cette petite grenouille et à sa marmite.

Pour rester dans le domaine qui nous intéresse, celui de la Défense de notre pays, il me semble que l’on a jeté la grenouille dans la marmite au moment de la fameuse guerre du Golfe, à laquelle nous n’avons pas pris le risque de mêler le contingent, qui constituait pourtant l’essentiel de nos forces. Bien que voyant son territoire réduit à la taille de la marmite, la grenouille n’a rien dit et il s’en est même trouvé pour penser que c’était bien, que c’était « pro ».

Puis, quelques années plus tard, un autre chef des Armées a carrément allumé le feu sous la marmite, en décidant de supprimer (pardon de « suspendre » pour employer l’hypocrisie coutumière) le service national. La petite grenouille a trouvé cela finalement bien confortable et a continué à nager…dans une eau encore fraîche.

Quelques années ont encore passé et l’on a encore augmenté la chaleur, en engageant nos forces dans un conflit géographiquement lointain et politiquement éloigné de nos intérêts nationaux, là-bas, en Afghanistan. La petite grenouille, devenue professionnelle, a trouvé cela très intéressant, voire palpitant, mais a commencé à pédaler un peu moins vite sous le poids des contraintes et des coûts.

Plus récemment, on a enclenché la diabolique dynamique de la RGPP et des Livres Blancs qui ont commencé à faire bouillir la marmite. La petite grenouille, toute essoufflée, toute rouge de chaleur, s’est recroquevillée sur elle-même en mutualisant tout ce qui lui restait de forces et attend désormais patiemment la fin de son triste sort, tandis que de savants stratèges espèrent qu’elle s’en sortira grâce à quelques forces spéciales…

Pardonnez-moi d’avoir comparé nos armées et notamment notre armée de terre à une grenouille, mais avouez que la similitude de situation est forte.

Voilà plus de trente ans que l’on nous anesthésie peu à peu, et que, au nom d’une sacro-sainte discipline intellectuelle (comme si l’intelligence pouvait être « disciplinée » !) et d’une obligation de réserve mal comprise et hâtivement rebaptisée « devoir », nous en sommes venus à ne plus nous révolter en entendant certains discours ou en observant certaines attitudes. Obéissants, nous barbotons tranquillement dans la marmite.

Voici quelques exemples, en se limitant à l’année qui vient de s’écouler, de faits qui auraient dû entraîner des sursauts « hors de la marmite »:

ce fut tout d’abord la reconnaissance officielle du 19 mars comme date de la fin de la guerre d’Algérie. Bien que majoritairement contre, les

Anciens combattants n’ont ni anticipé le coup, ni réagi et ont continué à barboter dans le marigot de leurs divisions internes….en se demandant

même parfois, s’ils devaient aller ou pas à la cérémonie du 19 mars (ça donne des points aux porte-drapeaux… !)

pour la rédaction du Livre Blanc, personne ne s’est offusqué de la composition de la commission chargée de sa rédaction, où les responsables militaires se comptaient sur les doigts d’une seule main (un par armée), tandis que des individus aux compétences parfois éloignées de la défense pouvaient y sévir. La grenouille, qui s’était déjà recroquevillée dans un coin de sa marmite, n’a même pas sourcillé.

dans le cadre des constantes réorganisations de nos armées, personne ne s’étonne de voir des décisions de fonctionnement interne prises par des politiques, agissant par contrôleurs généraux interposés. Parce qu’ils portent parfois le même costume qu’elle, la grenouille pense que ce sont

des copains qui vont la tirer de là…

personne ne s’émeut vraiment de voir la plupart des grands postes de direction internes au ministère de la défense confiés à des responsables

venus du monde civil et qui n’ont peut-être même pas le souvenir d’un service militaire digne de ce nom. La grenouille peut ainsi mettre toutes

ses forces à son coeur de métier : patauger dans la marmite !

un instant, la grenouille a cru qu’on allait lui venir en aide : ce fut lorsque l’on partit en guerre au Mali. Mais derrière l’écran de fumée de cette très belle et vigoureuse intervention, il n’y avait pas assez d’eau, dans ce désert, pour rafraîchir un peu la marmite et la grenouille, jetant ses

dernières forces dans la bataille, a commencé à bouillir, comme les soldats qui combattaient dans le massif des Ifoghas.

puisque l’on parle de cuisine, je ne résiste pas à l’envie de parler de ce qui fait, y compris chez les militaires, bouillir la marmite : la solde, qu’un

certain LOUVOIS n’est même plus capable de payer régulièrement et complètement à nos soldats, tandis que les Gendarmes, eux, sont obligés

de menacer de ne plus payer leurs loyers (un comble !) pour pouvoir continuer à travailler…

« c’est la crise », dit-on à la grenouille qui n’en peut mais et qui, bonne fille depuis toujours, accepterait bien quelques sacrifices pour que tout

marche bien dans son boulot ! On lui a déjà fait le coup, pourtant, lors de la dernière réduction d’effectifs, soit-disant destinée à améliorer les

conditions de travail…On sait ce qu’il en est réellement.

Mais est-ce aussi la crise qui oblige à s’attaquer au seul bien auquel nous sommes finalement attachés : la reconnaissance de notre pays

pour les sacrifices que ses soldats acceptent parfois jusqu’à l’extrême.

ainsi, est-il absolument indispensable d’accorder, par la bouche du Chef de l’Etat, plus de considération à quelques centaines de fusillés, même

parfois hâtivement et injustement condamnés, plutôt qu’aux centaines de milliers de soldats Français et Alliés qui ont accompli leur devoir jusqu’au

bout, parce qu’ils avaient le sentiment de défendre leur famille, leur village et plus que tout, le pays de leurs villages : la Patrie !

est-il absolument nécessaire de faire défiler, le 14 juillet prochain, les drapeaux de pays qui n’en étaient pas au moment de cette guerre et

parmi lesquels va se glisser le drapeau de l’Algérie, alors même que les monuments aux morts des Anciens combattants originaires de ce pays ont

été détruits et leurs noms effacés à jamais, sans que leurs descendants puissent se recueillir en un lieu quelconque rappelant la mémoire de tous

ces petits Français venus mourir sur le sol d’u pays que la plupart ne connaissaient même pas.

est-il vital pour la France de s’attaquer aux modestes avantages matériels accordés depuis 90 ans aux anciens combattants, en réduisant

la part de l’Etat dans la retraite mutualiste dont peuvent bénéficier ces combattants, grâce à leur effort d’épargne ?

Je vais arrêter là cette liste que vous pourriez sans doute m’aider à compléter, tant les motifs de mécontentement, mais surtout de MEPRIS pour les militaires sont nombreux.

Car je voudrais, pour terminer, vous inviter à tenter de sauver la petite grenouille de ma fable.

Il faut la convaincre de cesser d’écouter les promesses qui lui sont faites.

Il faut qu’elle se rebelle, intellectuellement, contre tout ce qui porte atteinte non seulement à sa survie, mais surtout à son rôle, car elle sera peut-être un jour, comme de tous temps, l’ULTIMA RATIO du pays.

Mais cela suppose que tout le monde agisse de manière cohérente et unie, ce qui n’est guère le cas au sein de la multitude d’associations qui se partagent les suffrages des militaires et anciens militaires.

Chacun prêche pour sa paroisse ou plutôt pour son armée, son arme ou même sa subdivision d’armes, pour le plus grand plaisir des technocrates para-militaires et civils qui décident de notre sort.

Pour nous, qui sommes retirés des affaires, cela passe, à mon avis, par un effort de SOLIDARITE, ce grand mot à la mode que l’on met à toutes les sauces.

Pour moi, cela signifie, bien sûr, solidarité au sens où la Saint-Cyrienne nous demande d’apporter notre obole à l’ENTRAIDE.

Mais cela exige aussi la MISE EN COMMUN de nos efforts, de nos intelligences et de nos moyens financiers pour permettre d’agir AVEC FORCE.

Certes, nous ne pouvons pas descendre dans la rue avec un bonnet rouge ou ; pourquoi pas, après nos casques bleus ou blancs, un casque rouge (encore qu’une manif, coiffés de nos casoars flottant au vent, aurait une certaine allure

et ferait de belles images à la Télé… !

Alors que pouvons-nous faire ?

Vous vous souvenez de ces principes que nous apprenions autrefois :

UNITE d’ACTION et CONCENTRATION DES EFFORTS

Aujourd’hui, cela passe par l’adhésion à de grands groupements fédérateurs, capables de peser de tout leur poids sur les décideurs politiques et de mener des actions d’influence sur les grandes questions du moment.

Ces groupements, j’en vois quatre principaux :

L’ANOCR, qui se préoccupe principalement de la condition militaire des actifs comme des retraités et qui vient de mettre en place un dispositif de

lobbying qui devrait porter ses fruits dans quelque temps

La Fédération MAGINOT, qui se préoccupe, avec efficacité, de la condition des anciens combattants (et qui possède d’ailleurs une belle maison de retraite à Neuvy sur Barangeon, dans le Cher)

L’ ASAF, qui, dans le cadre des associations reconnues par le ministère, mène un combat quotidien et au plus haut niveau, pour défendre l’armée

Et, bien sûr, pour nous, Saint-Cyriens, la SAINT-CYRIENNE, dont le président s’est, à plusieurs reprises, vigoureusement engagé, ces derniers

mois, notamment à la tête du Comité d’Entente des grandes associations d’écoles militaires.

Je vous invite donc à suggérer à tous ceux que vous connaissez de rejoindre ces associations, qui ont besoin, au minimum, du soutien matériel de vos cotisations et dons, mais aussi de votre soutien moral, en irriguant votre entourage (vos amis civils, les élus, les responsables politiques ou associatifs) d’un discours de vérité, argumenté par les réflexions des bulletins ou sites de ces associations, car notre discours ne doit pas être seulement l’expression des « râlantes » traditionnelles des bons gaulois que nous sommes.

Ce qui n’empêche pas l’humour, comme vous pourrez le constater en lisant la dernière lettre du président de l’ASAF, répondant au Ministre de la défense.

Celui-ci a eu, en effet, le culot de demander aux associations d’anciens militaires, au nom de la solidarité, d’embaucher des « emplois-jeunes »… Le général Pinard-Legry lui a répondu qu’il ferait mieux, pour aider des jeunes, de garder ceux que nous avons dans l’Armée, plutôt que de réduire encore le nombre de postes….

En conclusion de ce long baratin, je souhaite que vous soyez plus que jamais convaincu que seule l’UNION FAIT LA FORCE et est entendue des hommes politiques, qui ne raisonne qu’en termes de bulletins de vote.

C’est cela qui permettra d’aider la petite grenouille à sauter hors de la marmite.

Et, pour éviter de se faire à nouveau piéger, elle pourra alors méditer cette pensée de Saint-Augustin :

« A force de tout voir l’on finit par tout supporter…

A force de tout supporter l’on finit par tout tolérer…

A force de tout tolérer l’on finit par tout accepter…

A force de tout accepter l’on finit par tout approuver ! »

Je vous remercie de votre attention et je vous demande de me pardonner d’avoir été aussi long : mais il y a tant à dire… car on ne peut tout supporter.

Général Henry-Jean FOURNIER

Promotion Lt-Colonel DRIANT (1965-1967)

 

 


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