Humeur : la faillite des généraux

31 10 2013

Humeur : la faillite des généraux dans ACTUALITE ltn

Vous trouverez ici la réaction du LTN Arène, un jeune lieutenant fraîchement sortie de l’ESM, à l’article du Général Bentégeat paru dans la presse et posté sur ce blog.

Ce texte est également lisible sur le site de la Saint-Cyrienne

En 2007, le Lieutenant-colonel Paul Wingling, de l’US Army, écrivait dans la revue officielle de l’armée américaine un article intitulé « la faillite des généraux ». Cet article remarquable prouve tout d’abord l’énorme liberté d’expression de l’armée américaine, où chacun est le bienvenu pour débattre et faire avancer les choses sans craindre, si l’esprit est respecté, de quelconques répercutions sur sa carrière. Si le titre de cet article fait référence à des problèmes parfois spécifiques à l’armée américaine, il est néanmoins tout à fait approprié à la situation dont vous faites état.

La pensée dans l’armée Française est, je le déplore, un arbre à beaucoup de branches mais bien peu de fruits. Que l’on s’écarte trop de la norme, et l’on est condamné, comme Galula, à s’exiler pour faire progresser ceux qui le veulent vraiment avant de se faire redécouvrir 60 ans après par ses compatriotes (qui, au lieu d’avoir l’humilité de se taire, viennent même s’en vanter). Sorti il y a peu de Saint-Cyr, j’y ai été, comme tous mes camarades, déçu, et même choqué par la pauvreté de l’enseignement académique qui y est dispensé. Des cours disparates sur des matières sans unité réelle, on ne tire que très peu d’apport culturel (sauf pour la filière RIS qui vient de disparaître…), et la capacité de réflexion des jeunes officiers s’en trouve d’autant plus diminuée. Si bien qu’il existe un véritable fossé de connaissances (dont les frontières s’écartent au rythme croissant des fautes d’orthographes sur chaque diaporama Power Point, outil si réducteur de la pensée…), entre officiers subalternes et officiers supérieurs. J’entends souvent les colonels fraichement diplômés, ou les généraux plus anciens dire : « à l’Ecole de Guerre, je me suis refait une culture ». Il est malheureux de constater que de cette culture on ne tire que bien peu d’ouverture d’esprit, et je déplore chaque jour que nos chefs n’aient pas saisi (ou l’aient feint) l’évolution de la société du pays qu’ils servent.

Car la qualité fondamentale de l’officier, celle qui fait de lui l’homme capable de s’adapter aux changements de paramètres sociétaux pour obtenir les meilleurs résultats, c’est bien l’ouverture d’esprit.
En effet, comme on nous le répète sans cesse « le cœur du métier, c’est l’homme ». Mais avez-vous compris qui est l’homme d’aujourd’hui ? Non. Nos chefs ont manqué l’élément essentiel qui est au centre de notre société : la communication. Elle est, que l’on s’en réjouisse ou non, maîtresse de tout.
Elle est celle qui contraint le politique méfiant qui ne voit en l’armée qu’une économie de dépense publique dont personne ne se soucie. Elle est celle qui explique au citoyen et le saisit de sorte que le politique ne peut plus considérer la défense que comme une variable d’ajustement budgétaire. Elle est celle qui attire le jeune en manque de repère vers une vie hors norme.

Mais cela, nos chefs ne l’ont pas vu, ou n’ont pas voulu le voir.

Trop enfermés dans le culte pervers d’une obéissance aveugle (« réfléchir, c’est commencer à désobéir »), nos chefs ont laissé la loyauté se faire docilité. La défiance du politique envers les armées n’est pas nouvelle. Face à cela l’on pouvait très bien, et c’est même une nécessité, se battre avec leurs propres armes. Cela ne veut pas dire désobéir, mais contraindre le politique à n’utiliser la défense que pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle coûte. Mais cela peut signifier des esclandres. Des démissions. Des vagues dont on a horreur dans notre institution. Bref, cela signifie du courage.

Et si l’on ne veut pas en arriver à ces extrêmes là, auxquels on arrivera j’en suis convaincu, si l’on ne voulait pas en arriver à cette civilianisation des tâches « non guerrières » que vous décrivez, il fallait être clairvoyant. Il fallait être ouverts d’esprit. Il fallait comprendre que pour réhabiliter l’armée dans l’inconscient collectif il faut mettre des uniformes français à la télé, au cinéma, partout, et donc commencer par lever l’énorme montagne administrative qui bloque la coopération « militaro-audiovisuelle ». Dois-je rappeler qu’il existe au Pentagone un département entier consacré aux relations entre l’armée et Hollywood ? Comment, si l’on comprend le rôle clé de la communication, laisser des généraux de tous bords se succéder tous les 2 ans à la tête du SIRPA ? Pourquoi ne pas lancer un appel d’offre aux officiers supérieurs, d’un mandat de 5 ans ou plus à la tête de la communication de l’Armée de Terre, avec un master 2 à HEC pendant l’Ecole de Guerre, pour un officier motivé par cette perspective, qui pourrait s’y consacrer pleinement au lieu d’attendre son commandement en essayant de comprendre un système qu’il quittera dès lors qu’il le maitrisera ?

Mais par communication, j’entends aussi les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux et internet au sens large ont un impact bien différent que celui de ce seul pauvre « caporal stratégique » qui nous fera perdre la guerre parce qu’il a filmé un dommage collatéral. Internet, c’est le choix. Le choix est un changement fondamental entre la jeunesse d’aujourd’hui et la jeunesse d’il y a encore 15 ans. Les jeunes, il y a encore 15 ans, lorsqu’ils n’étaient pas totalement satisfaits, restaient « faute de mieux ». Aujourd’hui, ils cliquent, chattent, twittent, et vont signer ailleurs. Pourquoi ? Parce qu’on a pas compris comment évolue la société. Ou qu’on s’est borné à la voir telle qu’on voudrait qu’elle soit. Nous n’avons pas d’impact sur le produit de départ mais une obligation de qualité sur le produit d’arrivée. En d’autres termes, plus vite on comprends et on accepte à qui on a affaire, mieux on sera capable de le modeler pour faire de lui un soldat, un combattant, et pas un contractuel au rabais qui vient valider les statistiques. L’image joue aujourd’hui un rôle crucial. Le jeune soldat veut pouvoir rentrer chez lui en étant fier de ce qu’il fait. Vigipirate, par exemple, doit être vu comme une opération de communication gratuite où le jeune soldat est fier d’arborer un faciès de soldat du XXIe siècle qui attire les questions de ses congénères qui lui portent ainsi une vraie considération ! Mais comment voulez-vous qu’il soit fier quand on lui interdit de porter le drapeau français à l’intérieur des frontières (même les Allemands on un drapeau cousu sur l’épaule !) ? Comment voulez-vous qu’il soit fier quand l’équipement qu’on lui fournit est proprement honteux (je vous renvoie au RETEX du 2eREP sur le Mali stipulant que les seuls équipements ayant résisté à un mandat de 4 mois sont les équipements achetés personnellement) ? Comment voulez-vous qu’il soit fier qu’en 4 mois de mandat il ait dû voler les chaussures d’un insurgé qu’il a tué parce que celles qu’on lui donne sont mortes (alors que 2 paires tempérées, une paire été, une paire hiver par combattant déjà payées et livrées sont retenues à Mourmelon sous le libellé « stock guerre ») ? Comment voulez-vous qu’il soit fier quand on n’arrive pas à lui acheminer d’eau mais qu’on lui envoie un hélicoptère plein de rasoirs jetables parce qu’un officier supérieur a vu des photos de soldats non rasés ? Comment voulez-vous qu’il soit fier quand il n’est plus payé ?

Le jeune qui vient s’engager vient pour beaucoup de raisons diverses, mais nul ne s’épanouit dans un travail qu’il n’aime pas. La différence, c’est qu’aujourd’hui on ne fait plus contre mauvaise fortune bon cœur. Si on ne nous propose pas mieux, on va voir ailleurs.

L’Armée de Terre a manqué sa professionnalisation. Nous allons commencer à le voir à partir de maintenant, car elle se maintenait jusque là par la compétence d’anciens qui, par la force des choses, se font de plus en plus rares. Car l’avènement du « taux d’attrition », véritable saint-patron de nos armées et première préoccupation réelle des unités, a engendré un virage démagogique dont l’armée de terre ne pourra que difficilement se remettre. Tous les moyens sont bons désormais pour garder les jeunes, qu’ils correspondent ou non à l’emploi à honorer, pourvu que les chiffres soient respectés. Mais cela est complètement contre productif : trop dorloté (je ne parle pas ici des violences physiques qui n’avaient plus leur place chez nous), le jeune engagé est très vite déçu par la vie en compagnie où il s’ennuie – en partie aussi parce que leurs supérieurs sont accaparés par des tâches administratives qui ne devraient pas être dans leurs prérogatives, et ne re signent pas. Il en résulte une perte croissante des compétences qui ne va que s’aggraver à mesure que le vivier de « vieux soldats » s’épuise. Et comment maintenir un niveau de compétence suffisant quand on doit former sans cesse des nouveaux qui partiront 5 ans après ? Et ceux qui restent ne sont pas assez endurcis moralement pour supporter les vicissitudes de la vie militaire.

La première chose qu’il fallait changer lors de la professionnalisation, c’était l’état d’esprit. Mettre un terme à « un beau soldat c’est déjà la moitié d’un bon soldat ». On confond encore dans cette armée l’entretien de la tenue avec le culte de l’apparence. On confond rigueur et rigorisme. Et les contacts croissants avec les armées étrangères en sont à chaque fois une nouvelle démonstration. Une journée avec une section anglaise suffit. Sport le matin : les anglais arrivent tous dans une tenue différentes mais dans laquelle ils sont à l’aise pour tirer le meilleur parti de leur séance, les Français arrivent tous dans la même tenue, la moitié s’arrache les cuisse, certains on trop froid, etc… Tir l’après midi : les anglais s’entrainent avec le matériel avec lequel ils combattent, pas nous. Parcours naturel : on a fait les fiers le matin en sport en débardeur alors qu’il gèle, les Anglais n’ont rien dit et arrivent maintenant tous en treillis rangers T-shirt et vont casser la glace de l’étang. Soir : nettoyage armement, le Français n’a pas le droit d’écouter de musique, doit rester trempé à gratter son famas avec des ustensiles fournis inadaptés pendant que l’Anglais est en civil et se détend en nettoyant son arme, comme un soldat professionnel qui nettoie son outil de travail. Car à la fin de la journée, son arme est propre, il a travaillé ses performances physiques, la manipulation de son équipement de combat, et sa rusticité. Le Français a montré qu’il ne réfléchit pas, et qu’il n’est pas meilleur. Sauf que le soir, le Français va sur internet se chercher un autre emploi.

La mentalité des chefs n’a pas changé, ils sont toujours fiers de « faire des miracles avec rien ». On peut être fier d’être capable de continuer en situation difficile quand on a plus rien, on ne peut accepter de devoir faire tout avec rien. Et c’est bien là le problème. Le rôle des généraux, c’est de défendre leur armée auprès (contre) des politiques. Mais comment voulez-vous le faire quand ils sont à ce point déconnectés ?

Nous allons payer très cher leur manque de pragmatisme. Il y a de l’autre côté de la Manche un pays qui connaît les mêmes difficultés financières que nous. Un pays où les officiers sont extrêmement loyaux, mais qui ont choisi de dire « non » lorsqu’on leur demande d’honorer un théâtre sur lequel ils ne peuvent pas agir de manière professionnelle, afin de mettre les politiques en face de leurs responsabilités. Dans 10 ans, l’armée anglaise aura gardé ses savoir-faire techniques et tactiques qu’elle aura continué à entretenir à moindre échelle, et elle sera dotée de 2 porte-avions de classe Queen Elizabeth. Dans 10 ans, je ne donne pas cher de notre armée qui est d’ores et déjà, en hommes comme en matériels, moins nombreuse que l’armée Suisse.


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13 réponses à “Humeur : la faillite des généraux”

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  1. 19 11 2013
    Moncla (16:09:59) :

    Et oui ce lieutenant a parfaitement analysé la situation de l’armée de terre et de ses chefs qui ne pensent qu’à préserver leur carrière étoilée ! Si cela continue ainsi armée de terre pourra être réunie toute entière au stade de France !!! Et alors il suffira de quelques scuds pour l’anéantir en une seule fois….je suis tout à fait en accord avec ce lieutenant l’avenir proche sera sombre pour nos armées

  2. 19 11 2013
    LTN(h) BARJOLIN (14:52:04) :

    Ancien sous-officier d’active, actuellement professeur agrégé en lycée, très attaché à l’idée de défense et à une certaine forme de patriotisme à
    « l’américaine », ma fille est l’épouse d’un américain, j’adhère sur le fond aux préoccupations de notre jeune camarade. Quelques remarques cependant :
    Attention de ne pas tomber dans le piège français, toujours récurrent, de la lutte des classes. Dans une armée professionnelle moderne chaque composante, qu’il soit officier général ou sous-officier subalterne, doit s’appuyer en confiance sur son équipier, quel que soit son statut, pour agir en professionnel à la réussite de la mission collective. Nous ne sommes pas aux États-Unis, il n’y a pas de Garde Nationale et nous n’avons plus d’armée citoyenne hors quelques unités de réserve pauvrement instruites et médiocrement équipées. Nous ne sommes pas non plus en Grande-Bretagne où la pérennité de la nation et de sa défense est en quelque sorte garantie par la survivance d’une monarchie parlementaire. Il reste que, en France, nous avons, vous avez vous autres cadres d’active, des associations patriotiques (Amicales régimentaires, Anciens de toutes les Armes etc.) . Ces réseaux implantés dans le tissu social sont à même d’infléchir positivement les politiques de Défense mais, je le vois trop souvent, les cadres d’active portent fréquemment une appréciation négative sur ces civils, fussent-ils anciens de quelque chose, au prétexte que leurs comportements et leur apparence ne correspondent pas aux standards militaires.
    Eh bien!
    Je vous le dis chers camarades d’active, vous n’êtes pas les Prétoriens de la République, il serait même préjudiciable que vous le deveniez. Dès lors, appuyez-vous sur ces anciens, sur ces civils, que vous êtes vous même appelés à devenir. L’Idée de Défense est UNE…

  3. 19 11 2013
    PEGEAUD (14:34:05) :

    Bravo!
    heureux de voir que nos jeunes officiers sont clairvoyant….
    Apres 21 années comme EVAT, j’ai pu vivre de l’intérieur tout ce qui est relaté ici; c’est la vérité! la Bosnie, avec la FRR aura été le sommet du bon comme du mauvais…….
    PEVAT, les 2 dernières années, j’ai eu a dire la vérité , elle n’a pas plu (colloque de PVAT 2006 a Angers ) j’évoquais avec force et conviction, la pauvreté de la formation initiales, le recrutement, l’équipement deplorables ( je citais la somme dépensée pour m’équiper)la fidélisation, la formation ISTC ( déplorable faute de crédit), la préparation au combat ( le vrai) : les autorités ( officiers sup en uniforme cintré) m’ont pris pour un soldat déprimé, névrosé ( séquelle poste traumatique san doute ,MDR!!!!)…il est vrai que la discutions tournait autour des bouteilles d’eau gratuites ou pas au Gabon, de l’échelle 4 des CCH, des tournantes MCD, des séjours OM pépère….les seules qui m’ont appuyé ouvertement sont les PEVAT du 13e RDP, 1er RPIMA, et 1er RCP….. ils étaient clairvoyant!!!!!!!!!!!!! UZBIN, aura été malheureusement révélateur de la gabegie…….. j’ai quitté l’institution en mars 2009 rayé des cadres en mai 2010

    David PEGEAUD Mle 9063020018 ( 17eRGP- 5eRHC-DAOS-92eRI)

  4. 19 11 2013
    Moulai (12:55:09) :

    ( CCH)
    Bonjour ,
    Dans un sens ça me rassure de lire cela … En 1996 j’ avais ce discourt et certains cadres me répondaient …: personne est irremplaçable dans l’esprit de transmette  » aux jeunes  » notre expérience .
    Concernant le Matériel c’ était pire avant et ne parlons pas de notre alimentation. !
    Aujourd’hui lorsque je vois un soldat  » engagé » courir le matin , je lis dans ses yeux un certain manque de motivation ……
    Avec la disparition progressive des anciens , je ne vois pas comment cette situation dramatique va pouvoir s’ inverser …!?

  5. 19 11 2013
    freville (09:36:04) :

    Bravo, je n’ai pas toujours été en accord avec les officiers mais le discours que je viens de lire est tellement proche de la réalité, j’ai bien peur que l’avancement du lieutenant soit compromis mais merci pour cette vérité . Un ancien sous – officier.

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