Du souhaitable au réalisable…
19 12 2012A la lecture du rapport du jury de culture générale du concours 2012 de l’école de guerre (voir ci-dessus), j’ai ressenti un profond décalage entre ce qu’attendent les correcteurs et la réalité que représentent nos candidats.
Cette impression m’a projeté 16 ans en arrière. En 1996 le sénateur du Var François TRUCY, en mission parlementaire sur l’évaluation du service national et de ses derniers instants, visitait mon régiment, le 13e Génie à Trêves. Lors de notre entretien liminaire il m’assurait de sa certitude que nos formions là certains des meilleurs soldats du monde et que cette tâche devait être notre obsession au quotidien. Il a été je crois sincèrement surpris lorsque je lui ai dit que « Certes…cependant…mais surtout » mes premiers efforts et ceux de mes capitaines étaient de « socialiser » ces jeunes Français qui nous arrivaient d’un grand quart Nord-Est de la France. Socialiser voulant dire pour nous, adopter un comportement guidé en partie par des règles de vie commune, se lever à l’heure pour aller travailler, se respecter et respecter les autres, enfin acquérir un minimum d’autonomie dans la compréhension de l’oral et dans l’expression. Ensuite et ensuite seulement nous pensions pouvoir commencer à en faire de vrais soldats de la Nation.
Comparaison ne vaut pas raison. Pour autant quand on remplace « socialiser » par « structurer » et « faire de vrais soldats » par « acquérir un solide socle de culture » on s’approche d’une image réaliste de la situation de nos candidats.
Ils sont aussi intelligents et cultivés que nous l’étions à leur âge, mais le référentiel de culture a changé. On peut le regretter, les faits sont là.
En 4 années de correction des préparants au CID (collège interarmée de défense) puis à l’EDG (école de guerre), je n’ai pas rencontré plus de deux candidats « brillants » -selon les critères du jury- sur les dix à douze dont j’ai la charge annuellement.
Alors que de grandes écoles de référence comme Sciences Po ne considèrent plus comme pertinente la sélection à partir d’une épreuve de culture, devons-nous rester un îlot de résistance à l’image de l’île de Lubang dans les Philippines, longtemps après qu’avait pris fin la seconde guerre mondiale?
Personnellement je crois que oui car un officier ne peut pas être un acteur utile de la diplomatie de défense de son pays sans éclairage culturel et philosophique. La riposte par la culture reste la plus forte face aux tentations d’instrumentalisation de notre rôle par la sphère politique (politicienne?). Mais alors il ne suffit pas de constater ces lacunes sérieuses, il faut se donner les moyens de les combler. La première piste, réaliste aujourd’hui, consisterait à orienter le recrutement initial à partir de filières où s’enseigne encore en priorité le « pouvoir des mots » au lieu de privilégier celles qui valorisent avant tout le « pouvoir des nombres« . Dans l’Antiquité et jusqu’au Moyen-âge les « Sept arts libéraux » respectaient cet ordre d’enseignement, encore faut-il s’en souvenir pour être conscient de notre inversion des priorités. On évitera ainsi que se multiplie cet aveu affligeant fait par un de mes candidats auquel je demandai son principal point fort et qui m’a répondu: « Je ne rédige pas trop mal pour un scientifique. » Choix contre nature entend-on quand on évoque cette piste…mais peut-on rêver du beurre, de son argent et de bien plus encore!
Alors dans un premier temps, en attendant qu’une autre matière première arrive éventuellement dans la « filière » du concours de l’EDG, il faut se résoudre à remettre à ce stade l’ouvrage sur le métier de la méthode. La Revue d’études a encore de beaux jours devant elle concernant ce point quand bien même elle continue aussi à nourrir les esprits de ses dossiers mensuels.
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