Trop peut devenir trop!
8 11 2012J’ai comme beaucoup d’entre vous lu avec intérêt mais affligement l’article du Nouvel économiste intitulé: «Armée française: la ruine en héritage?».
Il trace un portrait si sombre que je me suis demandé où se situait l’intérêt de l’auteur. J’ai presque souri en lisant «Résultat : certains militaires, qui attendent le versement de leurs soldes, sont ruinés, interdits bancaires et sont obligés d’emprunter pour rembourser des crédits déjà contractés alors même qu’ils ne sont plus payés ! Dans les cas les plus extrêmes, leurs femmes divorcent pour acquérir un statut de femme seule et toucher des allocations.»
J’ai cru un instant relire Germinal!
Certes la situation n’est pas réjouissante, mais faut-il pour autant se flageller jusqu’à en perdre notre bon sens et le minimum de perspectives qui donnent l’envie d’avancer?
Notre esprit français nous pousse naturellement aux bons mots et à l’ironie parfois destructrice. Notre bouteille est souvent à moitié vide, rarement à moitié pleine.
J’en prends pour exemple deux citations entendues très récemment: « officiers Canada dry » pour désigner les brevetés « experts emploi des forces », « betteravisation » pour illustrer un repli sur le territoire national et ses camps de Champagne .
Faut-il aller jusqu’à ne plus voir que l’image qui cache la réalité?
Pensons d’abord à ceux qui ont vu s’envoler il y a quelques semaines leur seconde chance d’accéder au fameux brevet de l’École de Guerre. Beaucoup se contenteraient aujourd’hui d’un Canada dry à la place d’un bon alcool « voie commandement »; car ils n’auront ni l’un ni l’autre. Quant aux betteraves, notre génération y a passé le plus clair de son temps au point de dire -humour encore et odeur des raffineries toujours présente- que nous étions des spécialistes de la RCA (Région Champagne-Ardennes) pour nous replacer auprès de nos jeunes camarades auréolés d’OPEX. Et comble d’aveuglement et de prétention…nous n’avons pas de regrets, nous y avons construit de bons et beaux souvenirs et même acquis une certaine compétence!
Un devoir prémonitoire a été proposé par la Revue d’Études aux candidats à l’EDG 2013. J’invite ceux qui ont planché sur ce sujet à y revenir quelques instants et les autres à sacrifier un moment à la méditation:
«Depuis plusieurs années, d’après les instituts de sondage, le moral des Français ne cesse de se détériorer. A cet égard, Georges Bernanos a écrit dans l’un de ses ouvrages intitulé La liberté, pour quoi faire ? : « L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir, on le fait ».
Quel est votre sentiment sur cette assertion ? Faut-il, selon vous, avoir peur de l’avenir ? »
Clin d’oeil de l’actualité, alors que je venais de terminer ce billet et regardais mes emails…je découvre cette invitation de CEGOS!
NB: les curieux trouveront en page 53 du mémento version 7.4, accessible par le lien en haut de page de ce blog, des éléments de réflexion proposés par l’auteur en réponse au travail d’un candidat.
Je ne conteste pas la réalité de ce qui est décrit. Je pense simplement que le fait de ne mettre en exergue que la noirceur du monde (ici militaire) ne conduit qu’à la résignation.
Parlons également de nos actions positives en et hors métropole (y compris notre contribution à la formation professionnelle et civique de milliers de jeunes Français). C’est en valorisant nos missions diverses qu’on redonnera du sens à notre engagement et qu’on évitera à la Présidente de la commission de la Défense et des Forces armées de me répondre comme argument à la baisse des moyens évoquée dans notre lettre: « Je note que jamais on a vu dans notre pays une manifestation en faveur d’une augmentation des crédits de la défense. Il y a donc bien une volonté largement partagée par le corps social de porter l’effort dans d’autres domaines »!
Déjà lu cet article de Bricet des Vallons sur Theatrum Belli. C’est une synthèse absolument remarquable des dossiers, qui brasse à la fois les problématiques humaines et techniques. Sur le passage que vous citez, je crois qu’il ne dramatise en rien. Louvois est bien une catastrophe sans nom (assez bien soulignée par les diverses sorties du ministre qui envisage même son abandon) et les responsables de l’administration qui l’ont causé devront être sanctionnés, de même que l’entreprise Steria (dont on entend jamais mentionner le nom ailleurs). L’auteur n’invente rien. Je vous invite à aller sur la page Facebook « Femmes de militaires en colère ». C’est édifiant. On ne peut que lui donner raison sur l’empilement des réformes, la cession du patrimoine, la rationalisation qui coûte plus cher qu’elle ne rapporte, les BdD, l’hypertrophie du commandement, la réduction dramatique de l’outil et des volumes, etc. Si le propos est vigoureux, il n’en est pas moins totalement juste. Se flageller ? Vous m’excuserez mais c’est une interprétation qui vous est propre. Pour ma part je l’ai pris comme un appel à réveiller l’instinct de survie de nos chefs. Ce qui est malheureux c’est que la semonce vienne d’un civil – spécialiste des questions de défense reconnu – alors que ce travail d’alerte énergique devrait venir des CEM eux-mêmes (dont les auditions devant la commission de Défense de l’AN sont encore plus inquiétantes). Je sais que bon nombre de camarades officiers sont totalement solidaires de cette sortie et en partagent les conclusions. Il faut sortir du court-terme et du « faire plus avec moins ». 55000 postes en cinq ans + 30000 autres à venir. Une réduction des forces de 50 % en moins de dix ans ? Quelle autre institution publique a subi une telle purge ? Quelle autre la mérite le moins ? Vous évoquez Germinal mais à quoi d’autre la situation économique du pays peut-elle nous inciter (un chômage structurel, la balance commerciale d’un pays du tiers-monde, une immigration massive) ? Quand François Fillon dit qu’il est à la tête d’un état « en ruine », ça n’est pas qu’une parole politique, ça a un sens. A quoi d’autre peut mener la politique d’ultrarécession actuelle et l’adoption du mécanisme européen de solidarité ? Pour ma part j’applaudis et je soutiens cet article. Il est vrai que les Cassandre sont toujours mal récompensées et leurs oracles accueillis avec scepticisme. Et quand ils se réalisent, il n’y a plus personne pour s’en souvenir. Pour l’heure, ce que nous subissons c’est l’incompétence du politique. C’est eux qui défont notre avenir. Respect donc à ce spécialiste. Ca change de la langue de bois. On en aurait bien besoin au cabinet du ministre.
P.-S. : A lire aussi le billet du colonel Chauvancy sur Louvois, à peine moins sévère.
http://chauvancy.blog.lemonde.fr/2012/11/04/louvois-ou-le-symbole-de-la-desorganisation-des-armees/
Vous avez tout a fait raison……dans un monde militaro militaire où l’honneur prévaut ce trait forcé est risible……mais dans la société actuelle au sein de laquelle s’insère les armées, ne faut il pas forcer le trait pour avoir des miettes???? un exemple recueilli au dernier GRAT: l’armée de terre avait pris une avance de 825 postes budgétaires sur les déflations RGPP…….Au lieu de féliciter le bon élève, il a été puni, Bercy a fait passer ses postes à la trappe et en a imposer 800 autres……..obligeant le retrait, entre autre, des tireurs FRF2 dans les sections d’infanterie……vous allez me dire, double économie, comme çà pas besoin d’étudier un successeur au vénérable FRF2, il n’y a plus de tireur pour armer le poste……et hop, un poste budgétaire de gagné!
Quand à la betteravisation, certes je me suis éclaté dans les plaines de Champagne avec mon 10RC au début des années 90……à l’époque on vivait encore des manœuvres de division en terrain libre, les 4 escadrons X10 partaient en manœuvrant en camp régimentaire, sillonnaient les routes pendant 3 semaines et remontaient toujours en manœuvrant. Après on est passé aux manœuvres escadrons…….puis peloton…….puis très rarement en terrain libre. Ce n’est pas l’entrainement en métropole qui craint, ce sont les moyens dont on dispose pour le faire….
Alors certes on peut toujours voire le flacon à moitié vide ou rempli….à condition que le taux de remplissage soit de 50%…..sauf que là, on touche le fond, et on s’aperçoit qu’il est en pente……